Une fine plume: Jean-Philippe Delmarle – Tout un art de vivre la colombophilie …

Un conte de Noël que j’avais écrit pour un jeune garçon malade. (Jean-Philippe Delmarle)
Histoires de Noël..
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Depuis quelques années, déjà, David suivait dans les revues spécialisées, les exploits d’un colombophile, prénommé André, et à qui il vouait une grande admiration. Ce grand champion n’habitait pas très loin de chez lui, tout au plus une bonne trentaine de kilomètres. A cinq ou six reprises, il avait décroché le téléphone et formé le numéro qu’il avait trouvé dans l’annuaire mais à chaque fois, il avait raccroché avant même d’être arrivé au bout de la combinaison. La peur le tétanisait. Cette fois, ce ne serait pas pareil, il avait pris une grande bouffée d’air, saisi son courage à bras le corps et était bien décidé à franchir le pas.
Sa main trembla au moment de “taper” le dernier chiffre mais il ne fléchit point cette fois. Quelques sonneries furent nécessaires afin que le vieil homme se rende jusqu’à l’appareil, laps de temps qui sembla être une éternité pour David. Il entendit enfin la voix du personnage qu’il admirait tant.
Le tic-tac vigoureux d’une vieille horloge se fit entendre, en même temps que la mélodie entonnée par le canari qui ne devait se trouver bien loin de là. Cette douce ambiance ainsi que la voix fluette du vieil homme, firent que la quiétude s’installa chez David. Il s’enhardit et un flot ininterrompu de questions déferla, la conversation semblant amuser André, tout content de pouvoir de la sorte faire plaisir au jeune garçon.
Après plusieurs minutes d’un acharné “questions-réponses”, rendez-vous fut donné par André afin de pouvoir léguer un peu de son savoir à son jeune interlocuteur.
Dans les jours qui suivirent cet entretien, David sombra bien souvent au pays des rêves, plutôt que de se consacrer à l’étude des “maths” ou de la “géo”, le regard attiré par l’une ou l’autre volée de pigeons au-dehors. La voix autoritaire de l’institutrice était venue à plus d’une reprise le faire redescendre de son nuage.
Le grand jour arriva enfin! David enfourcha sa bicyclette et en moins d’une heure il avait bouclé la trentaine de kilomètres le séparant du village où habitait André. Au coup de sonnette répondit un grincement de porte et une frêle silhouette se dégagea de l’embrasure. Avec un large sourire et d’une voix douce, Rolly, l’épouse d’André, invita David à pénétrer dans la demeure. Tout y était calme, une bonne odeur de soupe, mélangée à celle du parquet fraîchement ciré titilla les narines du jeune voyageur. David fut invité à s’asseoir à la table de la salle à manger d’où il pouvait apercevoir la grande horloge qui martelait son incessant tic-tac ainsi que le canari, reprenant de plus belle ses chants mélodieux.
Tablier gris, pipe vissée à la commissure des lèvres, c’est carrément une image d’Epinal, un cliché qui apparut à David lorsqu’André les rejoignit. Très vite, le dialogue s’engagea et le sujet de conversation tourna bien évidemment autour du pigeon voyageur…
La maîtresse des lieux regagnant ses fourneaux, le duo de colombophiles prit le chemin du jardin afin d’aller rendre visite aux champions y vivant.
Le colombier des jeunes, ensuite celui des éleveurs et enfin celui des vieux voyageurs furent tour à tour investis de la présence des deux compères. A cette époque, un vieux pigeon portait encore fort justement son nom et il n’était pas rare de découvrir au sein des meilleures colonies des sujets âgés de six, sept ans et même plus qui étaient toujours exploités en concours. C’était le temps où comme le disait si bien l’adage, on laissait le temps au temps. Presque eut-il fallu l’intervention du chiropracteur afin de manipuler l’un ou l’autre voilier avant de l’enloger!
Les yeux écarquillés, le “Dav”, comme le surnommaient ses copains, reçut les plus grands vainqueurs d’André entre les mains. Mieux même, le brave homme connu et d’ailleurs reconnu pour ses qualités de trieur commença à enseigner une partie de son art à son nouvel élève. En quelques minutes, ce dernier en apprit plus que durant les quelques années passées à écouter les plus anciens de son local. Jalousie de la vieille génération ou emploi du fameux “je sais tout mais je dirais rien”, allez donc savoir!
Emerveillé, le jeune garçon fut invité par l’épouse d’André à prendre un délicieux potage afin de retrouver quelques forces pour le chemin du retour.
De commun accord, rendez-vous fut pris entre l’homme et l’enfant afin que cette rencontre ne demeura point sans lendemain, la joie était perceptible tant d’un côté que de l’autre.
David ne sentit même pas les pédales sous ses pieds tant tournoyaient dans sa tête une multitude d’images. Le chemin qui le ramena au domicile familial lui sembla bien court. Dès qu’il posa pied à terre, il s’empressa d’aller expérimenter son savoir nouvellement acquis sur ses propres oiseaux. Il n’avait certes pas tout compris mais André lui avait bien dit que cela était une question de temps et d’habitude, s’accommodant de ce conseil, il redoubla ses manipulations dès que la possibilité lui en fut donnée.
Durant plusieurs semaines, les visites se succédèrent et chacun y trouvait son bonheur. Même l’épouse d’André entra dans ce petit scénario, préparant de délicieuses pâtisseries afin de conclure chaque entretien entre son époux et le petit “Dav”.
Un mercredi, David fut appelé par André qui lui demandait un coup de main pour la constatation hebdomadaire. Ses jambes n’étaient plus celles qui le portaient allègrement lorsqu’il avait une vingtaine d’années et comme il participait à son concours favori, qu’il y avait engagé un grand nombre de pigeons, la distance entre chaque colombier l’avait incité à solliciter l’aide de son jeune étudiant.
Pensez donc! Etre demandé afin d’aller assister à la constatation! Pouvoir peut-être enregistrer le pigeon qui remportera le premier prix et surtout participer au merveilleux spectacle qu’est l’arrivée de pigeons de concours.
Malgré une légère appréhension, notre apprenti-horloger s’en tira très bien, les oiseaux étant déjà habitués à le voir au colombier ne montrèrent aucun signe d’inquiétude et se laissèrent enlever la bague de caoutchouc sans aucun inconvénient.
Ce jour-là, André fit littéralement explosé le concours, il remporta la victoire dans les trois catégories, raflant les cinq premiers chez les vieux, le colombier où David avait officié…
C’est avec une fierté bien légitime que le jeune garçon conta son aventure à ses amis du local qui, pour certains, cachèrent avec difficulté un petit sentiment de jalousie. Juste retour des choses par rapport à leur attitude initiale vis-à-vis de lui!
Le dimanche suivant, alors que le traditionnel rituel de la visite au colombier et de la leçon fut accompli, André invita son jeune ami à le suivre au local des reproducteurs. Pour sûr, “Dav” s’imagina recevoir un complément d’information au sujet des choses apprises cette fois. Il reçut en mains un jeune pigeon guère âgé de plus d’une bonne vingtaine de jours et faillit s’évanouir lorsqu’il entendit la douce voix d’André lui dire: “C’est pour toi, c’est un mâle, tu l’accoupleras avec cette superbe petite femelle rousse que je t’offre également”. Une vieille boîte à chaussures fit office de panier improvisé et à chaque carrefour sur chemin du retour, David posa le pied à terre et vérifia que tout se passait bien à l’intérieur de son coffret magique.
Un couple de jeunes pigeons de son grand ami André, le meilleur colombophile de la région, cette fois les copains du local en seraient malades!
Les deux nouveaux venus reçurent bien entendu une place de choix au sein du petit colombier de bois de David. Autrefois, cette bâtisse fort modeste abritait des poulets mais ceux-ci devaient désormais se contenter d’un autre local fabriqué à la hâte à l’écart de leur ancienne demeure investie par les champions du ciel.
Chaque jour, à chacune de leurs sorties, les deux cadeaux étaient l’objet de toutes les attentions. Il ne fallait prendre aucun risque et veiller à ce que les jeunes pousses ne fussent dérangées en aucune manière, de peur qu’ils ne s’égarent. Tout se passa à merveille et bien vite les deux petites boules de plumes accomplirent quelques acrobaties dans les airs au plus grand bonheur de leur nouveau propriétaire.
La saison de jeu touchait à sa fin, la reprise des cours, les devoirs, les leçons et les jours se faisant de plus en plus courts firent que les visites au généreux bienfaiteur s’espacèrent. Mutuellement on s’était promis de reprendre l’enseignement sur le pigeon voyageur dès que la saison de jeu se profilerait à l’horizon.
Les oiseaux avaient grandi, les deux petits pigeons étaient devenus de magnifiques oiseaux au plumage rutilant de santé. Comme par enchantement, sans les forcer, ils s’accouplèrent l’un à l’autre dès qu’ils furent en âge de le faire et les deux premiers oeufs de la femelle rousse furent déposés au plateau. David était très impatient de voir le fruit de cette union et il décomptait au calendrier les jours qui le séparaient de la naissance mais sans vraiment porter d’attention à la date précise.
Le matin de Noël, il avait neigé très fort durant la nuit et il fallut dégager l’entrée du colombier afin d’y pénétrer. L’attention du jeune garçon se porta directement vers le casier où résidait le fameux couple de son ami André. De petits morceaux de coquille laissaient présager l’événement tant attendu, nichés sous les plumes de leur maman, deux délicieux petits êtres avaient vu le jour durant la nuit de Noël. Immédiatement un nom leur fut donné, les deux rejetons répondraient à présent aux patronymes d’André et Rolly…
Durant quelques années, David continua à rendre visite à son professeur en colombophilie. Ensuite, d’autres pôles d’attraction se présentèrent à lui, il garda certes le contact avec le milieu des pigeons, il conserva bien entendu ses précieux cadeaux mais comme tous les jeunes de son âge, il se consacra à des loisirs plus tournés vers les sorties et l’amusement.
La vieillesse emporta son vieil ami et il fut suivi quelques semaines plus tard par son épouse qui ne supporta point de demeurer seule et c’est avec une infinie douleur que David assista à leurs funérailles.
David est devenu depuis lors un champion colombophile reconnu de tous. Il a consciencieusement mis en pratique les conseils si généreusement dispensés par son ami André et a gravi une à une les marches de la réussite.
Lorsqu’il est sollicité à présent afin de céder l’un ou l’autre de ses champions, il a un peu de mal à dissimuler son émotion quand son interlocuteur lui demande ce que signifie le nom donné à ce couple de reproducteurs d’où sont issus ses meilleurs sujets!
André et Rolly, quels drôles de noms pour des pigeons voyageurs!
Jean-Philippe Delmarle  (21.12.2014)

1 réponse

  1. Pascal Delannoy dit :

    Une belle histoire

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